Anglicismes ou la modernité forcée du discours RH

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Les anglicismes sont de plus en plus présents dans le langage courant des managers francophones. Les emprunts faits à la langue anglaise se multiplient. Et pour le dire autrement, ils ne parsèment plus le discours mais y font une forte intrusion. 

Le monde des affaires puis progressivement celui de l’économie furent les premiers champs de ce bouleversement. Mondialisation et Business obligent, pourrions-nous avancer !

Le glissement s’est poursuivi. Les domaines du marketing et de la communication en sont devenus les nouveaux champs privilégiés. 

Or, cette tendance de fond ne semble pas s’essouffler. 

Elle se poursuit, aujourd’hui, dans un champ longtemps protégé de ce type d’influence : celui des Ressources Humaines.

Qu’en est-il exactement et que cela pourrait-il traduire ?

Un changement lexical comme expression de modernité

Les anglicismes investissent désormais avec force le domaine RH. Le champ lexical s’y élargit jour après jour comme s’il y avait là un important retard à rattraper, un fossé à combler. Pour les plus anciens, l’essentiel du vocabulaire RH se limitait à quelques mots venant agrémenter les discours RH. Les éléments de langage étaient plutôt techniques et leurs ressorts renvoyaient pour l’essentiel aux questions d’organisation et de gestion : turn-over, middle-management, leadership, planning ou encore best-practices. La frange concédée à la langue anglaise en la matière était plutôt limitée. 

En fait, bien peu de choses étaient à consigner dans cette perspective et cela jusqu’au tournant des années 2020. Depuis s’invite tout un vocabulaire repris avec une aisance déconcertante par les nouvelles générations de RRH. 

Petit florilège

On ne parle plus de recrutement mais de recruiting. A l’intégration des jeunes recrues se substitue le terme de On-boarding. Ce vocable ouvrant à son tour la porte à celui de Off-boarding. Les questions de démotivation et autres démobilisation sont résumées par la notion de Quiet-Quitting. La gestion des salaires et de la rémunération est désignée par le qualificatif « compensation and benefits ». Les notions de hard et de soft-skills pour leur part viennent supplanter celle de compétences.  La montée en qualification est désignée par le reskilling ou le upskilling. La formation en ligne est remplacée par le e-learning. Ajoutons à cela la notion de « People Review » qui vient supplanter le Comité de Gestion de carrière ou de suivi des Talents. 

Poursuivons. Les métiers traditionnels disparaissent au profit d’intervenants aux missions certes nouvelles mais dont les intitulés ou les titres fonctionnels retenus le sont moins pour définir des territoires précis et justement cartographier que pour nous rappeler les mutations espérées. Ainsi, le Chieff Hapiness Officer (CHO) se voit confier la mission de gérer le bonheur en Entreprise ! Tout simplement. Exit le chasseur de tête, bienvenu au « Talent Acquisition Manager ». On parlera de Data Analyst RH pour la personne chargée de centraliser l’information et de regrouper les données pertinentes à travers les SIRH. 

Le Digital Learning Manager (DLM) désignera le responsable du développement des compétences digital. Quant au Learning Community manager, il se chargera d’apporter des ressources complémentaires et de partager le contenu de formation avec les apprenants. 

Il est vrai que cette tendance est lourdement nourrie par l’influence grandissante des contenus diffusés sur les Réseaux Sociaux mais aussi par quelques besoins de différenciation en termes d’expression stratégique souvent l’apanage de décideurs enclins à déclamer une modernité RH par le seul concept qui la porterait. Du discours performatif en somme.

Perte de sens ou glissement idéologique

Le glissement observé viserait à substituer des termes et des mots hier longuement réfléchis dans leur usage et possédant un véritable sens. Une terminologie que nous pourrions qualifier de « up-to-date » vient alors prendre place dans le discours RH.

Que cela pourrait-il révéler ?

Deux choses, tout au moins : 

  • D’une part, une ambition de communication RH voulue plus séduisante, s’inscrivant dans l’ère du temps et en rapport dans sa formulation aux attentes des nouvelles générations.
  • D’autre part, une volonté de simplification et de facilitation dans l’usage d’expressions reprises dans le discours RH pour les rendre probablement plus accessibles et plus audibles.

La RH céderait, ainsi et à son tour, aux impératifs d’un marketing omniprésent distillant au-delà des pratiques et techniques, un corpus linguistique en propre. 

Or, ce corpus nouveau ne se développe pas en raison d’un défaut de vocabulaire ou de traduction ; les termes équivalents pourraient bien exister dans la langue française. Il y a plus vraisemblablement – comme explication à cela – une paresse intellectuelle qui prévaut nous rattachant des facilités de langage que le plus grand nombre emprunte.

Ceci est malheureusement porteur d’un risque majeur. Les anglicismes dissipent le sens des mots qu’ils sont censés porter. Les mots utilisés pourraient être probablement plus englobants mais seraient à mon sens moins analytiques et relativement peu précis. Ils laisseraient ouverts leur compréhension à l’entendement que s’en ferait librement chacun.  De surcroît, ils seraient coupés de leur profondeur sémantique.

De la sorte, ils pourraient nourrir des glissements de sens nous éloignant progressivement de ce que les appellations initialement retenues devaient désignées. Ainsi et par exemple, Intégration et On-boarding voudraient signifier presque la même chose alors qu’en réalité, ces appellations renvoient à des réalités bien marquées. En guise de boutade, « on pourrait bien être embarqué sans être véritablement intégré dans l’entreprise ! ». 

C’est dire, encore une fois, cette élasticité de sens désormais bien présente !

Il y a des modernités trompeuses. A vouloir succomber aux charmes d’une « anglophomania » omniprésente, on ne changera cependant rien au fond des problématiques RH. Et très justement, les mots choisis doivent être au plus près des réalités sur lesquelles nous entendons agir…dans le domaine des Ressources Humaines bien plus que par ailleurs. 

 

Karim AMARA

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